Dans l’atmosphère enfumée et lourde des relents d’alcool, la lumière diffuse sculptait les corps et les visages des clients qui se massaient autour du bar ou qui s’étaient affalés sur l’une ou l’autre des nombreuses tables, lustrées par des armées de verres et de bouteilles, qu’elles avaient vu défiler depuis un éternité. Sonic…
En se faufilant jusqu’à la plus reculée de ces tables, faiblement éclairée par un cône de lumière jaunie, il fallait se montrer adroit pour ne pas heurter l’un des patibulaires habitués qui peuplaient l’endroit, sous peine de voir ses chances de retour à la civilisation s’évaporer en un instant. Et pourtant, c’était à cette table reculée qu’il fallait se rendre si l’on voulait rencontrer son singulier occupant et surtout, entendre son histoire. Visiblement plongé dans l’écoute du son étouffé d’un antique jukebox qui diffusait un vieux titre des Jetzons, le personnage assis là semblait extrêmement attentif, le visage à demi masqué par les ombres. Derrière les verres de ses lunettes, ses yeux brillaient d’une intense acuité, à moins qu’il ne s’agisse des effets de la boisson couleur miel contenue dans le gros verre carré qu’il tenait fermement et dont il aspirait ça et là une infime gorgée. Pour peu qu’on soit venu accompagné d’une bouteille de ce même liquide en guise d’offrande, alors l’étrange personnage sortirait de son mutisme et commencerait un incroyable récit, assemblage disparate de légendes, d’impressions, de témoignages indirects, et, peut-être même, de faits avérés. Ce personnage était de ceux qu’on n’aurait pas imaginé croiser en un tel lieu, son col romain blanc sur noir ne laissait planer aucune ambiguïté, c’était bien au Révérend qu’on avait à faire.
On l’a annoncé depuis des années, depuis 1994, presque à la sortie du jeu en fait, mais depuis quelques années la rumeur avait enflé au point de susciter de nombreuses vidéos comparatrices à travers tout internet et, depuis quelques semaines, l’information a été validée par Sega, oui Michael Jackson a bien travaillé à l’OST de Sonic 3. Victoire pour le peuple, enfin éclate la vérité. La vérité ? Toute la vérité ? Je suis peut-être révérend, mais je suis aussi détective, tremblez Sherlock, Hercule Poirot et autres Jessica Fletcher ! Après un débat animé mais civilisé et appuyé par l’ardent défenseur de la vérité qu’est Machintruc, tout aussi soupçonneux que moi, j’ai décidé de m’emparer de ma plus belle loupe et d’aller enquêter au mépris du danger, riant des menaces et assoiffé d’un besoin impérieux de vérité.
Je me suis (un peu) sali les mains, je le reconnais, pour vous livrer mes pistes, mes suppositions et certaines conclusions édifiantes. Accrochez-vous, et servez-vous donc un petit verre, ça risque d’être un vrai pavé, un vrai pavé dans la mare même !
Sonic et Sonic 2 ont bénéficié des soins tout particuliers du musicien Masato Nakamura, peu familier du domaine des jeux vidéo puisqu’il officiait au sein d’un vrai groupe de JPop avant d’être abordé par Sega pour fournir deux des plus belles bandes sons audibles sur Megadrive. J’ai déjà loué ici et là les qualités de ces OST légendaires. Pour le successeur Sonic 3, c’est un peu plus compliqué, cet opus porte jusque dans son OST les symptômes de son développement chaotique. Si l’on en croit les crédits de fin la musique de Sonic 3 est l’œuvre de Doug Grisby III , Bobby Brooks, Darryl Ross, Geof Grace, Scirocco (Cirocco Jones de son vrai nom) et, retenez ce nom : Brad Buxer. Mais pas de Michael Jackson.
Peut-être que vous connaissez l’histoire. Michael aurait participé à l’élaboration, la rumeur s’était déjà presque confirmée en 2009 quand Brad Buxer l’avait déclaré au magazine Black & White, la raison derrière cela, celle qui est le plus souvent évoquée, c’est que le chanteur aurait composé de nombreux morceaux pour le jeu (on arrive au chiffre faramineux de 41 selon les sources) mais aurait finalement décidé d’arrêter les frais, en raison de la pauvreté du rendu sonore de la console (et voilà même MJ tacle le processeur sonore injustement mal aimé de la Megadrive) qui ne faisait pas justice à ses morceaux et il aurait ensuite refusé d’être crédité. D’autres raisons évoquées sont celles moins glorieuses du début des affaires de pédophilie qui ont largement secoué l’univers de la star.
Première objection : Si on se replonge dans le passé, quelques années plus tôt en 1990 sortait sur Megadrive le fameux Moonwalker adapté du film du même nom, et pour le coup, le rendu des musiques n’avait choqué personne, pas même le King of Pop en personne ! Et pourtant, il s’agissait là de compositions déjà mondialement célèbres passées au filtre de la 16bit, elles sont sorties telles quelles et certaines peuplent même encore l’inconscient de votre révérend.
Si l’on en croit les rumeurs, seuls quelques morceaux auraient été terminés, ce sont ceux sur lesquels on revient toujours lorsqu’on parle de MJ et de Sonic 3 dans la même conversation. Il resterait donc le thème de Carnival Night Zone, Ending Theme et le célèbre (et magnifique) thème de Ice Cap Zone.
Carnival Night Zone emprunte indéniablement beaucoup au Jam de MJ paru en 1991 sur l’album Dangerous, enfin beaucoup… Disons que les « cuivres » précédent le break avant que le morceau ne boucle est similaire à ceux du morceau de 91, avec également ce bruit de verre brisé qu’on peut entendre dans les deux morceaux. On peut donc se dire qu’ils sont liés d’une façon ou d’une autre. Pas sûr que Michael Jackson se soit amusé à cloner un élément d’un morceau pour l’intégrer à un autre, l’artiste étant suffisamment prolixe pour ne pas avoir eu à se répéter au sein de sa carrière.
Ending Theme est un cas différent, puisque, contrairement à Jam, le morceau issu du jeu précède le morceau « jumeau » Stranger in Moscow. A l’écoute, la filiation entre ces deux morceaux n’est pas fatalement évidente, mais, si on ralentit le thème du jeu, effectivement, la progression des accords est la même (même si elle n’a rien d’extrêmement originale) et la mélodie est proche, sans être un calque parfait. C’est ce morceau qui a d’ailleurs été à l’origine du plus grand nombre de débats et il semble admis désormais que le lien soit réel même s’il est loin d’être frappant.
Ice Cap Zone, là ça se corse. Beaucoup notent des similarités entre le style de cette piste et de certains morceaux de Michael. On parle de Smooth Criminal (1987) qui possède une ligne de basse approchante (mais pas du tout identique) pour appuyer la paternité supposée de MJ et on insiste sur la qualité supérieure (c’est toujours subjectif, mais je suis d’accord là-dessus) de ce morceau par rapport au reste de l’OST du jeu. Et c’est là que je balance Hard Times, morceau d’un groupe post-punk peu connu du nom de Jetzons. Il s’agit qui plus est d’un morceau de 1982 resté inédit jusqu’en 2008. La comparaison pour le coup est sans appel : c’est exactement le même morceau. Pas besoin de ralentir le morceau ou quoi que ce soit, il est livré dans le jeu à l’identique. Mais qui sont les Jetzons ? Pourquoi un morceau inédit à l’époque de la sortie du jeu se retrouve tel quel dans Sonic 3 ? Mais qu’est-ce que le sens de la vie ? Au moins deux de ces trois questions vont trouver leur réponse dans les lignes qui suivent. Pour cela, je jette la loupe de détective, je revêts ma robe d’avocat, et j’appelle à la barre…………… Brad Buxer !
-Mr Buxer, veuillez vous avancer et jurer de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
-Je le jure.
-Bien, Mr Buxer, présentez-vous à la cour je vous prie.
-Ben, je m’appelle Bradley Buxer, je suis citoyen des Etats Unis d’Amérique, musicien, je suis claviériste spécialiste du synthétiseur et compositeur, et pas un mauvais. Enfin si je peux dire…
-Contentez-vous de répondre aux questions Mr Buxer, nous ne sommes pas là pour faire de la critique musicale.
-Pardon, maître, pas la peine de vous énerver.
-Je m’énerve si je veux. Continuons. Mr Buxer, avez-vous déjà collaboré musicalement avec feu Mr Michael Joseph Jackson ?
-Ah ça oui, j’ai bossé un peu sur Dangerous, sur HIStory, j’ai même travaillé avec les Temptations, Stevie Wonder…
-On s’en fout de ceux là… Hrm… pardon. Sur HIStory, vous avez composé ?
-Oui, je suis derrièrela musique de Stranger in Moscow par exemple. Mais j’avais bossé sur Jam dans Dangerous aussi dans le genre. Où voulez-vous en venir ?
-J’en viens où je veux, et c’est moi qui pose les questions. Intéressant cependant. Répondez-donc à celle-ci Mr Buxer, je vous rappelle que vous témoignez sous serment. Mr Buxer, faisiez-vous partie d’un groupe dans les années 80 ?
-Gloups. Oui, euh, avec des copains on avait un groupe, on faisait du post-punk comme on disait, on a même fait un album.
-Et quel était le nom de ce groupe, s’il vous plaît ? Parlez fort, que tout le monde vous entende.
-Les Jetzons.
(brouhaha dans la salle d’audience, le juge tape vigoureusement de son marteau pour faire taire la salle)
-Je n’ai pas d’autre question.
Ainsi donc on retrouve enfin ce Brad Buxer, et son rôle semble avoir gagné en ampleur au sein de toute cette affaire. L’imaginer inclure ce morceau bondissant et glacial à la fois qu’est Hard Times en guise de musique de stage est devenu une évidence, de même que la similarité entre Stranger in Moscow et le thème de fin devient nettement moins hasardeuse. Pour ce qui est de Carnival Zone, il pourrait très bien avoir ajouté la pastille de cuivres de Jam en clin d’œil.
Mais alors, est-ce que ça décrédibilise l’implication de Michael Jackson ? Pas vraiment, mais maintenant on peut douter de l’importance de la part due au King of Pop dans l’élaboration de l’OST. Voyons donc où en était Michael Jackson à cette époque.
En 1993, le 17 août, éclate la tristement célèbre affaire de pédophilie. Epuisé par les batailles judiciaires, le harcèlement médiatique à ce sujet, Michael Jackson en viendra même à interrompre avant la fin son monstrueux Dangerous World Tour en novembre. C’est l’épuisement qui est donné comme raison de cet arrêt brutal. La vérité n’est que partielle, puisque la star part également directement en désintox. En outre, à cause du scandale notamment, le contrat très lucratif qui le liait à Pepsi n’est pas reconduit. En janvier 1994, le chanteur trouve un imposant accord financier avec la famille du jeune garçon qui cesse les poursuites, en septembre le non-lieu est déclaré.
Sonic 3 sort au tout début 1995. C’est Right Said Fred à qui on doit l’oublié tube des 90s I’m Too Sexy que Sega choisit comme promoteur (pour moins cher sans doute) du jeu à l’aide de la chanson Wonderman qui évoque le personnage du hérisson bleu.
Bon, vous allez bientôt pouvoir souffler. Rassemblons nos idées. On imagine pour le coup qu’à cette période, Michael Jackson ait eu très peu de temps libre, même sans compter ses différents déboires, et qu’il donnait priorité absolue à son art. Son entourage, Brad Buxer en tête a, quant à lui, été largement impliqué dans cette OST, comme en attestent les crédits du jeu, et peut-être bien que Michael Jackson a pu à un moment servir de caution ainsi que d’immense coup de pub pour Sega. Associer (de nouveau) son nom à un jeu était une aubaine tant qu’il n’y avait pas de parfum de scandale derrière celui-ci (et Space Channel 5 va prouver qu’ils n’avaient pas lâché l’idée). D’un autre côté, cela ne lui demandait que peu de travail de passer une ou deux fois au studio, un pepsi à la main, pour balancer un « bof » au bout de deux ou trois minutes d’auditions. C’était largement suffisant pour pouvoir, moyennant gros chèque (et on sait comme Sega aime parfois dépenser sans compter) apposer un tampon APPROUVE PAR BAMBI sur la cartouche. Selon mon humble avis, tout cela n’est qu’un audacieux coup de pub raté, puisque vite dégonflé. L’influence de Brad Buxer quant à elle se révèle nettement plus crédible, ceux qui en auront le courage pourront même aller jeter une oreille attentive au morceau I Won’t Wait No More des Jetzons, qui partage étrangement beaucoup avec la musique de Marble Garden Zone.
Loin de moi l’idée de briser des rêves, de jouer les rabat-joie de première classe. Juste une occasion pour moi de me pencher sur un sujet qui a fait couler des litres virtuels d’encre virtuelle et prouver que vraiment même certains détails, certains aspects de second plan d’un jeu peuvent donner lieu à des recherches passionnantes.
10 mars 2016 at 21:43
Je n’ai qu’une chose à dire Reverend-z, Bravo. Superbe article, superbe comparaison, recherche promptement mené, j’espère que ceux qui voyez du Mj partout se calmeront un peu avec leur arguments « si tu écoute au ralenti la musique avec la tête dans l’eau en te bouchant le nez, on retrouve le rif de tel musique du roi de la pop », OUVREZ LES YEUX.
La vérité éclate enfin au grand jour et rendons à César ce qui doit être à César (enfin aux Jetzons) la gloire qu’il mérite pour leurs musiques et sa digitalisation.
Amen mon révérend
10 mars 2016 at 21:48
Merci à toi Machintruc, c’est quand même parti de ton coup de gueule et de l’approbation indulgente de Manji tout ça.
Et oui, les Jetzons c’est sympa !
11 mars 2016 at 22:16
Tout le mérite vous revient 😉 Machintruc d’avoir lancé le sujet et Révérend cette plume tellement formidable 😉
12 mars 2016 at 04:12
C’est une alchimie, merci !
15 mars 2016 at 20:50
J’ai aucun mérite, c’est le révérend qui a creusé. Moi j’ai juste gueulé un peu. En même temps, je gueule beaucoup ces derniers temps, c’est surtout depuis que j’ai appris que vider son sac et être franc augmente sa durée de vie. Et Vue comment je suis partie, je vais vivre centenaire en cassant les couilles à tout les Kévin en insultants call of 125 modern post apocalyptique warfare. Je leur rappelerai qu’une firme d’Haneda à fais les plus merveilleux jeu du monde sur des consoles préhistorique à cartouches. Putain j’ai hates
11 mars 2016 at 09:08
Superbe article j’avais entendu parler de ça forcément mais j’avais pas creusé jusqu’à ce niveau de details, tres intéressant ! Merci à toi
12 mars 2016 at 04:13
Creuser j’aime bien ça finalement, merci à toi aussi, vos retours font chaud à mon vieux coeur !
16 mars 2016 at 16:25
Très intéressant cet article!
Merci pour tous ces détails 🙂
16 mars 2016 at 17:15
Le Diable est dans les détails dit-on. Merci TomTom !
16 mars 2016 at 17:38
Et bien cet article est diablement bon ^^