Les paupières encore empesées par le sommeil, écrasé par la chaleur et l’odeur de renfermé qui régnait dans la chambre je me coulai lentement hors du lit, échappant à la couette douteuse ornée de logos Coca Cola qui, dans un temps reculé avait été rouge mais revêtait à présent une couleur difficile à définir. Pas cours ce matin, pas pendant deux mois et demi d’ailleurs, enfin les vacances, et elles commençaient dans la torpeur d’un matin de juin. Dehors, on pouvait déjà entendre l’animation de la petite zone résidentielle, le bruit d’un arrosage automatique, celui plus lointain d’une tondeuse, un chien aboyant au passage d’un cycliste du dimanche, quelques voitures. A l’intérieur, l’agitation n’était pas encore de mise. Sans doute que mon petit frère regardait des dessins-animés en dévorant ses céréales, insouciant et bienheureux devant les aventures d’un Sonic qui vous donnait de si bon conseils, aussi judicieux que ne pas traverser la route sans regarder ou de ne pas vous laisser câliner par un inconnu. Ma mère devait être sortie, mon père à son travail.

Personne n’était à la messe.

Avec une mollesse infinie, je pêchais un t-shirt froissé qui traînait sur le sol jonché d’une dizaine de magazines où Sam Player étalait son côté cool d’autant de façons. Je m’habillais sans hâte, pourtant de plus en plus grisé par un sentiment de liberté qui se précisait. Pas de cours aujourd’hui, ni demain, ni avant un moment, une éternité. Devais-je aller partager un petit déjeuner devant les couleurs vives de l’énorme télé ou plutôt rester cloîtré dans cette chambre, assis sur le sol, armé de mon fidèle pad, les yeux rivés sur mon minuscule écran ? Un sourire en coin, je pris ma décision : elle était évidente. Restait à savoir lequel des jeux qui faisait ployer l’étagère j’allais choisir.

Et du choix nous en avons dans cette Mega Drive Classics Collection, encore que certains jeux manquent étrangement à l’appel sur cette version XBox One (Ecco, que je n’ai jamais aimé d’ailleurs, les jeux Disney qu’on ne reverra sans doute jamais, et Sonic 3, à cause de Michael Jackson j’imagine, Moonwalker, à cause de…). Les classiques sont là, tous. De Super Thunderblade à Comix Zone en passant par La Légende de Thor et même Landstalker. C’est un peu la fête. Sachant que chacun des jeux est présent sous différentes variantes, Europe, Japon, USA, il y a de quoi contenter tout le monde, du fan de la première heure au débutant qui souhaite découvrir ce que la Mega Drive avait à offrir aux ados des années 90. Certains choix sont sans doute discutables, mais les classiques sont bel et bien là.

Présentée de façon admirable, dans une modélisation fidèle d’une chambre d’ado (un peu trop bien rangée), cette Mega Drive Classic Collection fait les choses comme il faut en ce qui concerne son esthétique. C’est évidemment autrement plus accueillant qu’un simple menu, même si on regrette de ne pas pouvoir admirer les jaquettes et que les cartouches (virtuelles) ne portent elles non plus aucune illustration si ce n’est le titre du jeu. Reste qu’on s’amuse à découvrir ici et là un poster, ou une Golden Axe qui repose dans un coin de la pièce. Petit détail amusant, on peut tout à fait régler l’horloge du jeu sur celle de la réalité, permettant ainsi une immersion totale, hormis l’odeur des chaussettes qui trainent.

Pour ce qui est de l’émulation, la fidélité est là. On peut s’amuser à ajouter des scanlines, comme dans tout émulateur qui se respecte désormais, bomber artificiellement l’image pour s’imaginer jouer sur un lourd écran cathodique, ou au contraire lisser les sprites pour gommer les pixels (mais qui ose faire ça de nos jours ?)… L’effet étant pour le coup assez moche. Les options sont donc assez nombreuses, même si on se retrouve assez vite à ne plus y toucher aussitôt qu’on aura trouvé sa configuration idéale. Une fois tous les réglages effectués, il ne reste plus qu’à lancer le jeu, on peut choisir sa localisation parfois, consulter le succès attitré (oui il n’y en a qu’un tout au plus), puis c’est parti. La nostalgie s’étale en gros pixels sur notre écran, les sensations sont au rendez-vous mais… Mais à quoi bon ?

50 jeux, mais pas vraiment de surprise si on a déjà joué aux 50 autres compilations Mega Drive sorties…depuis la fin de la console sur à peu près tous les supports. Le côté cosmétique est une bonne chose, mais on l’avait déjà vu sur PC depuis un bon moment. Il est évident qu’à part jouer avec la fibre nostalgique des anciens joueurs qui n’ont pas envie de s’embêter avec du matériel d’origine, cette compilation ne va ni redorer le blason d’une console qui de toutes façons n’en a pas besoin, ni attirer des néophytes par wagons entiers. Evidemment, ici chez Sega Legacy certains (dont moi avec l’aide de Manji !) vont craquer, mais c’est parce que nous faisons vivre la flamme coûte que coûte.

Le gros souci, que Machintruc a immédiatement relevé d’ailleurs quand notre conclave s’est réuni, c’est que Sega s’évertue à nous ressortir ce même paquet de jeux car évidemment la Megadrive c’est l’heure de gloire de la firme, quand c’était plus fort que toi. Je suis bien le dernier à me plaindre qu’on mette cette console légendaire sur le devant de la scène, mais pourquoi ne pas profiter de cet élan pour regarder un peu autour ? Le catalogue Sega est démentiellement original et fourni, tant de franchises disparues, tant de consoles qui n’ont pas eu droit à toute l’exposition qu’elles méritaient. Joignez-vous à moi dans la prière et réclamons à Maître Sega de nous offrir tellement plus ! Nous voulons des compilations qui mêlent Master System, Game Gear, Saturn, 32X, Mega CD, Dreamcast ET Arcade, oui l’arcade vous imaginez ? Où sont tous ces titres ? Les Sonic de la Master System par exemple auraient bien besoin d’une nouvelle exposition non ?
Je me calme.

Oui, cette compilation est excellente, évidemment, mais sa sortie nous rappelle cruellement le manque d’audace de Sega depuis ces dernières années. Après Sega Forever soit la plus glaciale des douches froides, il est difficile de garder l’espoir dans quelque chose de grand de la part de la compagnie. Parfois émergeront des surprises comme le brillant Sonic Mania, mais globalement, il nous faut tous reconnaître, et ironiquement, SEGA l’a compris, que les meilleurs moments sont derrière nous. Ce constat amer ne doit cependant pas rebuter les curieux, il y a tant à découvrir, si certains d’entre nous, moi en premier, sont un peu durs avec ce genre d’initiative, c’est surtout que nous sommes profondément passionnés par les jeux et l’histoire de Sega. Histoire qui mérite sans doute mieux que la constante réédition d’une compilation, quelle que soit sa qualité.

Je me frottais les yeux et posais un regard sur la lumière rouge du radio réveil. Presque midi. Tant pis pour le petit déjeuner. Je n’avais pas entendu ma mère s’affairer en bas, ni remarqué les bonnes odeurs qui s’émanaient de la cuisine. Il faisait déjà très chaud, l’après-midi promettait d’être caniculaire. Le moindre pas dehors et je sentirais le parfum estival du gazon fraîchement coupé mêlé à celui du goudron mouillé par l’arrosage. Dehors, le soleil était prêt à rôtir quiconque s’y risquerait un peu trop longtemps. Mais moi, je n’avais pas la moindre intention de sortir aujourd’hui. Dans une parfaite synchronisation, j’éteignis la console au moment pile où la voix familière de ma mère se mit à crier « à table ! ».

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