La saga de Kiryu s’étant terminée à l’occasion de Yakuza 6 (testé par votre serviteur). Le Ryu Ga Gotoku Studio cherchait une nouvelle licence pour exploiter le moteur maison et faire évoluer la formule. Ainsi, est apparu Project Judge ou Judge Eyes ou Judgment Eyes puis finalement Judgment en occident. Un spin-off de la série Yakuza avec des nouveaux protagonistes, une localisation en français et des attentes fortes…
D’entrée de jeu, le joueur comprend que le jeu sera un Yakuza sans en être un. Le quartier est identique, des fortes gueules arpentent ses rues, ses activités sont toujours aussi nombreuses et une partie de l’ambiance générale de la série mère est conservée. Mais Toshiro Nagoshi et ses développeurs se permettent de faire des paris de gameplay et de narration pour diriger ce spin-off vers une certaine forme de subtilité qu’on ne connaissait pas jusqu’alors dans la série. Nous évoluons toujours dans le même quartier donc, dans les mêmes rues et les mêmes impasses aux murs invisibles et pour autant le déroulement du jeu sera sensiblement différent. La narration prendra ici encore plus de place rendant le jeu plus dirigiste que ne l’étaient les folles aventures de Kiryu. Le découpage par chapitres, bien connu des joueurs de la licence, prendra une place particulière dans la narration de Judgement et est bien plus qu’un découpage permettant une ellipse et un changement de décorum comme nous avait habitué Yakuza.
Je suis un homme mais j’ai des fêlures…
Là où Judgment se démarque de son ainé, c’est dans un premier temps avec son nouveau héros : Takayuki Yagami, un jeune avocat brillant, interprété par le showman Kimura Takuya, ayant réussi l’exploit de faire acquitter celui qui se révèlera être un véritable assassin. Il quittera son cabinet et abandonnera la promesse d’une belle carrière en guise d’automutilation et pour sauver la face. Vous aurez remarqué que la réputation au Japon n’est pas qu’un vague concept et l’éviction du casting de Pierre Taki pour consommation de drogue alors que le jeu était déjà disponible au japon n’en est finalement qu’un exemple. Ainsi, le jeune premier se meut en détective sans le sous, peinant à payer son loyer à sa logeuse. Le postulat narratif n’est du coup plus du tout le même qu’avec Kiryu, le Yakuza bad-ass au grand cœur tellement cliché. Notre héros n’est plus dirigé par un éventuel désir de vendetta et/ou une problématique d’égo. Non, ici, il s’agit bien de faire son boulot correctement et se repentir de son implication dans le crime qui a eu lieu précédemment. Alors que Kiryu pouvait se faire berner par à peu prés l’entièreté de son clan, son frère, la caissière et un petit vieux dans un parc, Yagami, lui est méfiant, pugnace et idéaliste. Le jeune premier a changé de costume (et n’hésitera pas à le refaire pendant l’aventure) mais pas de crédo.
Le leitmotiv de notre avatar est donc la quête de vérité et de justice qui lui a fait défaut précédemment et c’est cette recherche qui justifiera plus ou moins habilement les enquêtes proposées au joueur et bardées de mini-jeux (courses poursuites à base de QTE, recherches d’éléments interactifs dans un décor, surveillances via un drone, crochetages, prises de photos compromettantes…). Tant pis si pour cela, il faudra parfois flirter avec les limites légales et surtout morales (ainsi que les limites du moteur du jeu dans les scènes à la première personne…).
La justice, la droiture et la vérité qu’importe la morale… En voilà un parti pris bien sérieux. D’ailleurs, le héros n’est ici jamais tourné en dérision, bien au contraire, il est dépeint comme un homme plutôt malin, beau, agile et courageux. Cet ex-avocat se montre également bien moins binaire que notre Yak ‘ préféré dans ses interactions avec les passants et autres PNJs avec lesquels il faudra se lier d’amitié pour bénéficier de coups de main au cour du jeu.
La Bagarre !
Dans Judgment, Yagami se bat avec deux styles de combat, l’un orienté « groupe d’ennemis » et l’autre plus « mono-cible ». Dans les faits, Yagami se débrouille très bien et cette finesse de gameplay prétendue n’est pas exploitée si souvent que ça. Le détective saute dans tous les sens, bondit sur les murs, balance ses pieds dans le nez de ses voisins avec ardeur. Si certaines animations de finishes moves sont recyclées des précédents opus, on reconnait à Yagami un style beaucoup plus raffiné que ceux que Kiryu a pu utiliser. On notera que la physique a quelque peu évolué, notamment le poids et la robustesse des éléments de décors qui ont été modifiés, ainsi, un vélo n’explosera plus en 12 000 morceaux si vous le frôlez comme c’était le cas dans Yakuza 6. Reste, comme à l’accoutumé, les habituelles réserves sur la caméra parfois un peu désordonnée lors des combat qui auront lieu dans des espaces clos, mais franchement, c’est un détail de peu de gêne.
Où diner après le spectacle ?
Les activités dans le quartier de Kamurocho sont nombreuses et variées, sans grande surprise et à notre plus grand bonheur. Elles vous permettront de perfectionner vos bluffs au mahjong (face à l’IA) avant d’aller jouer à Virtua Fighter 5, Fighting Vipers, ou « l’inédit » Kamuro of the Dead à la salle d’arcade… Vous connaissez la chanson. La grosse nouveauté en matière de jeu dans le jeu étant les courses de drones pour lesquelles il vous faudra récupérer pièces, vis et morceaux d’aluminium de qualité dans les rues et ainsi améliorer votre engin afin de remporter encore plus de trophées. Nous sommes ici face à l’un des mini jeux les plus faibles des derniers épisodes de la franchise selon moi : les courses ne sont pas particulièrement palpitantes à jouer et la customisation n’est pas vraiment fun. Dans un jeu aussi généreux en matière d’activités annexes, on pardonnera facilement ces courses de drones pour se concentrer sur d’autres passe-temps plus amusants même si les plus « complétistes » devront se les fader.
Judgment propose donc tout un tas d’activités mais elles ne seront jamais friponnes ! Globalement, tous les aspects gentiment érotico-comiques ont été bannis du jeu et/où n’impliquent pas directement Yagami. On comprend dès lors que le deal signé entre SEGA et la star japonaise qui prête ses traits et sa voix à notre détective impliquait un traitement particulier et une mise en valeur de ce dernier. Dans tous les cas, in-game et compte tenu de la caractérisation de Yagami, on l’imagine assez mal aller sur Chaturbate dans un manga-kissa pour tenter de séduire une actrice de JAV. Ce n’est pas son genre, c’était celui de Kiryu…
La tonalité du jeu étant plus grave plus sombre et moins caricaturale, le joueur oscille moins entre rires et larmes comme il pouvait y être invités dans les Yakuza. Ici, c’est du sérieux, on doit mener l’enquête et mettre au jour ce qui a été planqué sous le tapis… Les personnages principaux sont toujours merveilleusement modélisés et le jeu d’acteur est véritablement bien retranscrit, il est même plutôt plus sobre que précédemment. Le sur-jeu japonais chez les acteurs et dans la mise en scène étant réservé au Yakuza essentiellement, ce qui fait sens. Je le dis à chaque test d’un jeu de la licence, mais le Ryu Ga Gotoku Studio n’a pas de concurrence à ce jour en matière d’expressions faciales et de transmissions d’émotions pures via le regard des personnages : le véritable « emotion engine » de David Cage est japonais.
Kokekokko devient Cocorico
Celles et ceux qui tels Asterix ne sont toujours pas des familiers de la slang anglaise profiteront de Judgment en français dans le texte et en anglais ou japonais en audio. La localisation n’est pas exempte de tout reproche, on y trouve des coquilles ou des adaptations parfois sujettes à débat, mais devant la somme de travail que représente un tel jeu, on pardonne allégrement le tout en saluant le soutient de SEGA pour un jeu qui reste risqué en matière de recette. Inutile de vous précisez que le jeu doit se jouer en japonais (bien que la VOSTA ne soit pas de mauvaise facture, elle n’a juste… pas de sens).
Entre la localisation, l’absence de paires de fesses et le jeu d’acteur plus subtil, SEGA dévoile un jeu au profil bien plus calibré pour être un succès en Europe et aux États-Unis que ne l’étaient les précédents jeux du studio. Judgment est plus sage mais se veut aussi plus adulte que ne le sont les Yakuza. Yagami est le miroir de Kiryu pour autant il partage avec ce dernier un nombre impressionnant de points.
Judgment/Yakuza Yagami/Kiryu, les quatre sont enclavés dans un Kamurocho capable du meilleur comme du pire. Et si à chaque coin de rue, on voudrait voir apparaître Kiryu dans son costume blanc, l’enquête de Yagami n’en reste pas moins captivante. Toshiro Nagoshi nous livre ici un grand jeu et pousse plus loin son fantasme du héros moderne. Judgment, c’est le changement dans la continuité ou la modernité dans la tradition…
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