« Tout le monde aime le dessin ; quand nous étions enfant, nous avons tous, instinctivement, crayonné avec joie et manifesté dans cette activité artistique la vie qui nous avait émus. » Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Jean Arestein dans son introduction de l’Encyclopédie Pratique du Dessin chez Fernand Nathan. L’ouvrage date de 1954 et il m’avait été cédé par ma mère qui le tenait elle même de mon Grand Père. Très complet, ce livre traite du dessin dans tous ces aspects, de l’étude de la ligne et des volumes à la composition en passant par l’anatomie humaine et animale. Petit, je noircissait des pages et des pages de dessin et cette encyclopédie m’avait été offerte alors que mon intérêt était de plus en plus manifeste. Très didactique et daté, ce livre aborde l’art de façon un peu désuète avec un ton de réclame publicitaire des années 50. Je m’en étais inspiré tout de même, mes parents possèdent toujours une splendide glacière rose qui est ornée d’un chien caricatural dessiné par mes soins au marqueur et tiré des pages de ce cher monsieur Arestein.
Vous pensez bien que le petit gars que j’étais était impatient de mettre la main sur la cartouche d’Art Alive sur Megadrive, jeu qui promettait un an avant Mario Paint aux USA mais un an après en France, de se lancer dans le dessin numérique, sur console.


Art Attack !
Triste rebondissement de notre histoire, je n’ai jamais eu la chance de trouver la cartouche de cet Art Alive quand j’étais petit, il m’aura fallu patienter jusqu’à ces dernières années pour enfin pouvoir l’essayer.
Vous vous souvenez peut-être de cette émission des années 2000 sur Disney Channel qui vous apprenait des méthodes et des astuces pour créer des oeuvres originales tout en s’amusant ? Je confonds toujours les titres Art Attack et Art Alive. Cependant, vous verrez que l’une des deux propositions honorait sa promesse de créer tout en s’amusant. Indice, ce n’est pas Art Alive.
Tout commence par une page blanche et une barre d’outils qui paraîtra assez limitée mais pas si éloignée que ça d’un Paint par exemple. SAUF QUE, et nous allons venir immédiatement au point qui fâche, dans Paint on utilise UNE SOURIS (et dans Mario Paint aussi d’ailleurs).
Nous voici donc devant notre écran, à l’aube d’un chef-d’oeuvre, armé d’un pad Megadrive à la croix directionnelle plutôt rigide en guise de pinceau. Les différents outils sont sélectionnables dans des tailles différentes, et pour gagner tant bien que mal en précision, on peut choisir leur vitesse de déplacement à l’écran. Pour autant pas de miracles, la maniabilité reste pataude et les tableaux de maître qu’on imagine déjà réaliser ne seront au mieux qu’un barbouillage qui, même agrémenté d’un cadre en nouilles, ne trouvera même pas grâce aux yeux d’une maman pour la fête des mères. J’en veux pour preuve la superbe image de titre de cet article.
On note toutefois qu’une tentative de pallier cette maniabilité approximative a été tentée avec l’outil en forme de flèche qui ressemble un peu à une forme d’outil de dessin vectoriel archaïque.
Je vous laisse admirer l’ensemble des outils de création ci-dessous.
Jugendstil
Après plusieurs minutes de prise en main, on peine réellement à dessiner quoi que ce soit de convenable. Heureusement, Maître Sega ,qui visiblement est plus fort que toi en dessin aussi, a ajouté à son jeu pas mal de tampons à l’effigie de personnages de l’écurie (surtout Sonic et Toe Jam & Earl) dont certains son même animés ! On peut les plaquer sur sa toile, ils sont réversibles et seront assurément du plus bel effet.
Vous n’arrivez pas à dessiner de jolis décors ? Pas de souci, des décors à colorier sont également prévus et n’attendent que vos couleurs et vos personnages pour s’animer. Bon, il n’y en a pas 50, en réalité il y en a 6, on a très vite fait le tour des possibilités. Ajoutons également la possibilité d’ajouter du texte, vous pourrez ainsi adjoindre une légende à votre croûte afin de la rendre plus accessible aux les critiques d’art les plus difficiles.
On retrouve les mêmes limitations aux couleurs disponibles, on est sur Megadrive, parfois même le plus simple des coloriages tourne au casse-tête si on essaie un minimum d’être cohérent. Il faudra vite se résoudre à colorier la mer, le ciel et les nuages du même bleu, quelle tristesse ! Si on prend les choses avec dérision on peut quand même rire un peu, façon skribll.io en essayant tant bien que mal de faire le portrait fidèle de votre star préférée et la faire deviner à un ami. Seulement il va vous falloir de la patience, car le choix entre vitesse et précision vous conduira avec certitude à une progression laborieuse.
Dorian Gray n’a qu’à bien se tenir !
Enfin, en réalité il n’a pas trop à s’inquiéter car si on décidait de mesurer une œuvre d’art à sa postérité, avec Art Alive on est cuits ! Si, avec la providence de l’émulation et des captures d’écran je peux vous livrer mes plus belles toiles, imaginez que tout cela n’existe pas sur Megadrive. Pas de sauvegarde, pas de possibilité d’imprimer d’aucune façon. L’art est ici éphémère comme le beau visage d’Aline sur cette plage qui souriait à Christophe et vous aurez beau crier, crier, votre beau dessin ne reviendra pas. J’imagine que certains ont peut-être tenté de prendre une photo de leur écran cathodique, esquivant tant bien que mal les reflets mal placés et ont attendu avec impatience à la boutique du photographe du supermarché qu’il leur développe la version papier glacé sans marge de leur belle peinture. Il serait intéressant de connaître des témoignages d’époque encore qu’il soit peut probable que les ventes aient été colossales.

15 Minutes de gloire
Art Alive ne vous occupera donc certainement pas plus de temps que celui que votre patience veut bien accorder à son système poussif. C’est un peu triste car l’idée d’ouvrir la gamme de la console à des titres éducatifs ou créatifs est louable. L’idéal aurait été de commercialiser, en complément de la cartouche, un accessoire, une souris, un pad… Evidemment, le tarif aurait sans doute explosé et proposer un accessoire uniquement dédié à ce jeu aurait peut-être été un effort inutile. On ne saura jamais et je ne suis pas sûr que quelqu’un d’autre que moi se pose aujourd’hui encore la question. Alors qu’on imaginait la compagnie tournée vers les ados, avec une attitude rebelle et branchée, l’existence d’un programme comme Art Alive reste surprenante et constitue une curiosité dans une ludothèque déjà bien variée.
Ceci dit, Sega ne laissera pas tout à fait tomber l’idée des jeux de ce type. On aura droit en 1993 à l’atroce mais hilarant Fun n’ Games de chez Tradewest qui ajoute au dessin la création musicale, des activités d’éveil et même des mini jeux. Mais surtout, en 1993 au Japon et en 1994 ailleurs, Sega sortira la Pico, console destinée aux plus petits avec ses livres/cartouches colorés dont les graphismes sont très proches dans leur rendu du style visuel de cet OVNI.
Si la nostalgie se mélange à une fièvre créatrice, vous pourrez être tentés de lancer le jeu, vous pourrez même rigoler un bon coup. Cependant, vous feriez tout aussi bien de vous lancer une session de Paint sous Windows95 ou défier votre Révérend sur Skribbl.io dont je vous parlais un peu plus haut !
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